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Pour une analyse constructiviste des musiques électroacoustiques et des techniques d’écriture de la technologie

Marc Battier

Avec une présence forte au sein de l’art du vingtième siècle, l’étude de l’art sonore artificiel (audio art) et des musiques électroacoustiques posent encore des problèmes considérables. La spécificité de ces répertoires vient de leur enracinement dans l’environnement technologique. Ce qui les distingue du répertoire conventionnel est donc bien connu, mais fait cependant l’objet de débats.

Dans cette brève présentation sera discutée la question de l’analyse des musiques nées au sein d’un environnement technologique. Le plus souvent, leur création a réclamé au compositeur a d’adapter sa pensée et son projet musical au moyen de techniques souvent spécifiques. L’effort, pour l’analyse, est de relier, par l’étude, un parti artistique et un environnement technologique et d’en comprendre la technique dérivée ou créée par l’artiste. Comment Apollinaire, au début des années 1910, réinvente-t-il le phonographe lorsqu’il développe le simultanéisme, thème repris par les dadaïstes dans leur créations de poésie phonétique, et qui influencera profondément Varèse ? Quels relations entre le geste, l’écoute et la composition dans la première musique concrète de Schaeffer puis de Henry ? De quelle manière s’ébauche la nouvelle musique électronique lorsque Stockhausen transgresse les interdits de ses maîtres, fondateurs du studio de la NWDR de Cologne ? Et, surtout, de quels matériaux et documents devront-nous disposer pour tenter de répondre à ces interrogations ?

Cette communication introduit l’hypothèse d’une approche constructiviste qui s’adosse aux catégories fondatrices de ce mouvement artistique des années 1920. L’analyse constructiviste s’est développée au sein d’une expérience démarrée à l’IRCAM et poursuivie au MINT de l’université de Paris Sorbonne. Le point de départ fut de réaliser des analyses d’œuvres du répertoire de musiques mixtes de l’Ircam. L’idée fut d’emblée d’étudier l’œuvre sous l’angle de la relation qu’elle entretient avec les différents aspects de sa composition, de sa réalisation et de son exécution. L’approche favorisée, mais diversement implantée, fut de relier l’écriture et la réalisation à la technique développée par le compositeur dans son traitement de l’électronique. En d’autres termes, la question était de comprendre comment les dispositifs informatiques, souvent un héritage partagé par beaucoup, sont adaptés et réinterprétés dans une véritable technique d’écriture de la technologie.

Menée avec une équipe de jeunes musicologues, l’expérience, si elle ne fut, aux yeux de l’auteur, qu’un demi-succès, a permis de cerner les problèmes inhérents à cette analyse. Un obstacle non négligeable est la formation moins que satisfaisante des jeunes musicologues à la technologie du son artificiel. Un autre, tout aussi important, est l’absence de méthode pouvant guider l’analyse de façon à intégrer les aspects des techniques, de la technologie et de ce qu’on appellera de manière outrageusement simplifiée le style. Mais le résultat de cet effort collectif fut, à mes yeux, de constituer un corpus de matériaux documentaires et analytiques pouvant servir de fondation à une recherche plus poussée.

La communication sera l’occasion de présenter l’action entreprise au sein de l’Unesco dans le cadre d’une collaboration entre le MINT/OMF (Paris-Sorbonne) et le programme Digi-Arts de l’Unesco. La nature du programme Digi-Arts sera abordée par d’autres intervenants du colloque. En ce qui concerne le MINT, l’action porte sur plusieurs volets du programme : insertion des travaux de compilation de bibliographies dans la section Digital Library, contributions aux travaux sur l’histoire de l’art sonore artificiel, des musiques électroacoustiques et de l’informatique musicale dans le volet History of Electronic Music et participation au projet Young Digital Creators.

Enfin, l’action menée au sein du MINT est en connexion permanente avec d’autres projets conduisant à documenter notre passé :
- l’équipe réunie autour de Leigh Landy à l’université De Montfort pour le projet EARS (ElectroAcoustic Resource Site), avec laquelle le travail de compilation de documents historiques est menée de façon systématique et publiée sur le Web
- l’Observatoire Leonardo des Arts et Technosciences (OLATS) et son programme de pages Web consacrées au pionniers des arts électroniques, pour lesquelles plusieurs pages furent rédigées par le MINT (Cage, Fischinger, Risset, Sala, Scriabine, Schaeffer, Stockhausen, Xenakis) ou sont en préparation (Barbaud, Hiller, Koenig, Mathews, Nono...).
- Electronic Music Foundation, et, particulier, son président, Joel Chadabe, avec qui un projet de publication off line est en cours sur le thème des grandes étapes de la synthèse sonore (projet Genesis of synthesis) ;
- le projet Searching our Origins, Critical and Archival Histories of the Electronic Arts, englobant plusieurs programmes de recherche historique tel que CACHe (Computer Arts, Contexts, Histories, etc., Londres) qui trouvera un premier débouché à l’occasion de ISEA 2004 ;
- l’Ircam, enfin, au sein du programme Réseau thématique pluridisciplinaire Arts/Interfaces/ STIC (RTP 40).

La communication présentera brièvement ces programmes avec l’espoir que les efforts d’étude et de documentation des œuvres du répertoire, trop souvent dispersés, puissent se réunir de manière multiforme. Ce premier colloque en est la manifestation.